A Place To Bury Strangers – Onwards to the Wall

Chronique

Oliver Ackermann a toujours entretenu un rapport ambigu avec la notion d’influence, affirmant parfois que les groupes qu’il aime alimentent inconsciemment ses chansons, et démentant au contraire, à d’autres moments, l’idée qu’A Place To Bury Strangers puisse s’inscrire dans un courant tracé par d’autres dans le passé. Il prétend ne pas être influencé et, en même temps, ne jamais modifier une chanson s’il se rend compte  à posteriori qu’il a été inconsciemment influencé ; il veut affirmer la personnalité de sa musique, sans pour autant jamais se forcer à sonnerdifférent. Bien qu’il ne l’ait jamais formulé ainsi, la vérité est que son groupe synthétise tellement de courants dans un bloque uniforme que ses affirmations contraires sont, au final, toutes justes. Alors qu’il s’agit, et musicalement et en termes de démarches de mouvements parfois opposés, A Place To Bury Strangers renvoie à la fois au post-punk (Joy Division, les voix hantées, les rythmiques tranchantes, le rapport à l’esthétique), au shoegaze (My Bloody Valentine, Slowdive, la passion pour le mur du son), au courant c86 (Jesus & Mary Chain, un sens pour les chansons qui ne prennent forme qu’au moment venu), à la cold wave (l’axe The Cure et Depeche Mode que l’on peut respectivement retrouver sur I Know I’ll See etKeep Slipping Away) et à Sonic Youth (maltraiter ses guitares comme un acte de création artistique et non comme une posture de rébellion). Et encore, on pourrait creuser bien plus longuement ces affiliations.

Mais pour la première fois, on sent qu’A Place To Bury Strangers est en train de dépasser ça. Onwards to the Wall est un EP qui n’a rien à prouver, une respiration où l’on n’est pas obligé de cacher ses faiblesses. A Place To Bury Strangers se met à nu, et cette nudité dévoile un groupe respectueux de ses ainés qui sait à qui il doit son songwriting. Ici il n’y aura aucun titre dérangeant et ambitieux, rien qui ne s’approche d’un To Fix The Gash In Your Head, mais à la place, on trouvera un groupe qui n’essaye plus d’effacer ses traces et qui ne se sert plus du mix pour cacher des choses. C’est comme si Oliver Ackermann acceptait enfin l’ambivalence ! My weakness, avant dernier titre du premier album, me revient en tête, comme si déjà à cette époque, A Place To Bury Strangers ne s’adressait pas à l’amour de sa vie, mais à ces groupes qui le supportent : I don’t mind, and I don’t care, and I’ll do fine. I know you’re mine. I can’t believe I feel this way. I’ve got the spirit inside me. I know it can’t be, can’t be wrong. I know it keeps me… Des faiblesses dont ont peut être fier.

Onwards to the Wall est-t-il alors la production la moins engagée du groupe ? Effectivement, le maelstrom de déflagration sonique qui habitait les deux premiers disques laisse maintenant de plus en plus place à une production apaisée où les chansons respirent mieux : un véritable espace est apparu entre les instruments et le son de A Place To Bury Strangers a été légèrement lissé pour le pire et pour le meilleur ; le pire étant ce trait de personnalité qui s’est désagrégé au profit d’un rock plus efficace, le meilleur découlant lui de ce songwriting plus limpide et plus implicite où la voix n’est plus noyée sous les effets. On peut n’y voir qu’un détail, et ce d’autant plus que, musicalement parlant, Onwards to the Wall poursuit sans aucune prise de risque ce qui a été fait avant, mais pour un technicien du son comme Oliver Ackermann, ça ne peut être dénué de sens. On pourrait alors ressentir une petite déception à voir un tel groupe mettre de l’eau dans son vin, et même y voir le début d’une forme de compromission ; après tout un changement de label (le passage sur Dead Oceans) accompagné par un adoucissement de la violence sonore sont souvent des signes avant coureur. Mais, au contraire, je crois que ce Onwards to the Wall est une nouvelle preuve de l’engagement d’Oliver Ackermann : pour lui, il ne s’agit pas d’une conciliation avec sa vision musicale, mais d’une conciliation avec lui même et avec ses compagnons de routes. Pour la première fois, Onwards to the Wall est un peu moins un disque d’Oliver Ackermann et un peu plus un album des autres (Dion Lunadon et Jason Weilmeister) ; ce n’est plus le « Death By Audio show », mais bien la production d’un groupe équilibré. Ca ne signifie pas grand chose pour l’avenir et ça ne veut pas dire que la nature bruitiste de l’extrême du groupe ne reviendra pas très vite sur le devant de la scène, mais ça prouve la capacité de son leader à prendre du recul, et à ne pas se laisser bouffer par son égo (ou plutôt ici sa vision). Cette évolution, on l’imagine bien, trouve également son origine dans l’alter-égo qu’a trouvé Oliver Ackermann en la personne de Dion Lunadon qui succède à la basse à Jonathan Smith. Du coup, sur la chanson éponyme, on retrouve pour la première fois une structure très pop avec une alternance voix masculine / voix féminine. Pourtant, tout en étant mixées au second plan, les guitares conservent toute leur puissance, et c’est peut-être ça le message que cherche à faire passer Oliver Ackermann : ses guitares n’ont plus besoin de la lumière pour briller.

 

 

Au final, j’ai l’impression que Onwards to the Wall sert moins de vitrine à Death By Audio. La profonde interconnexion qui a existé entre A Place To Bury Strangers et Death by Audio a été à l’origine de la réussite artistique du projet d’ Oliver Ackermann – le premier était le laboratoire d’expérimentation des idées du second, tandis que c’était les compositions qui lui inspiraient des idées de sons, le tout agissant comme un cercle vertueux –, et on peut s’interroger sur les conséquences à venir de cette discrète séparation qui vient de s’installer entre les deux.

Tout cela peut paraître paradoxale, car Onwards to the Wall est à la fois un album très (trop) classique d’A Place To Bury Strangers, et à la fois très (trop) léger par rapport au passif du groupe. Mais pour autant, il en est on ne peut plus passionnant. Probablement parce qu’en jouant sur des détails, sur ces petites subtilités dans son approche du son, A Place To Bury Strangers développe une discographie à la fois évolutive et incroyablement compacte. Enfin, chacun à sa manière, les cinq titres qui composent cet Ep ont un pouvoir fédérateur affirmé auquel il est difficile de résister (I lost youI’ll be Alright).

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

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