BATHS – Cerulean

Chronique

Les rouflaquettes épaisses qui entourent le visage, les lunettes qui déforment légèrement le regard, les joues un peu gonflées qui s’accordent avec un corps un peu grassouillet, Will Wiesenfeld aka Baths est un geek de style Elvis, de ceux qui aiment bidouiller la semaine et errer le samedi soir dans des clubs où ils se déhanchent sous les assauts de la musique et du vague à l’âme, de ceux qui finissent toujours par se lier d’amitié avec un type au bar qui leur offre première partie et reconnaissance (Daedelus dans le cas présent, qui présentera également Baths à son futur label Anticon).


De Madlib à Flying Lotus, Los Angeles, dont Will Wiesenfeld est originaire, est devenu un véritable repère pour beatmakers qui aiment souffler le chaud et le froid, la soul et le jazz, une ville où les machines poussent au bout des doigts et où des doigts poussent sur les machines. Mais Baths ne surfe pas sur un courant d’air, il a posé des fondations solides et a su construire son atelier avant l’hiver. S’il passe ses journées à errer dehors, à jouer au phonographe et à voler des sons naturels (« Rain Smell » sent vraiment l’herbe mouillé) qui le rapproche de la pureté de Boards Of Canada (« Rafting Starlit Everglades »), le soir venu, il s’attelle à sa table, prend l’apéro avec guitares et basse qu’il réenregistre et retravaille, avant d’enfin une fois le monde endormi poser sa voix.


Tout au long de « Cerulean » on imagine une version du « Stick To My Side » de Pantha du Prince avec Panda Bear au chant revue et corrigée à travers le spectre de l’abstract hip hop (« Hall »). C’est de ça qu’il sera souvent question ici, de l’abstract hip hop, de Animal Collective mais aussi de Warp, autre label chez qui Baths n’aurait pas déteint. Du coup, on finit toujours par se demander qui a trompé qui pour qu’on se retrouve avec autant d’enfants illégitimes ! Sur « Lovely Bloodflow » on se croit d’abord chez Tv on the Radio avec ce chant psychédéliquement sensuel avant de réaliser que les drilles sont bien ceux d’Aphex Twin. Puis juste après « Maximalist » abuse du glitch à la Prefuse 73 avant de se comporter comme le « Arche-Limb » de Depth Affect ! Ca name-drop de partout ! On ne sait plus qui est le fils de qui, de quoi. L’album devient un jeu de combinaison, Dirty Projectors copule avec Boom Bip, Blockhead prend dans ses bras Yeasayer !


On sent bien que Baths n’est pas un faiseur qui fait mumuse le dimanche avec des boutons, qu’il n’est pas le genre de type qui rajoute trois bling bling sur les vinyles de papa. Non on voit tout de suite en lui le travailleur, celui qui ne quitte jamais sa trousse à outil et qui exploite la moindre de ses émotions. C’est une musique qui a besoin d’être jouée.


Les nombreuses fluctuations dans les circuits électroniques n’y font rien, « Cerulean » s’avère particulièrement organique, au point même de peser parfois. Baths a tellement mis ses trippes dans cet album qu’il en fait souvent un peu trop comme sur « You’re My Excuse to Travel ». Même si l’on reste abasourdi par ses structures complexes et ses développements imprévisibles, on finit à un moment ou à un autre par le trouver trop maniéré (sur « Indoorsy » par exemple) voir ennuyeux par trop plein de perfection (« Departure »).


Mais au final, la plaidoirie possède une rhétorique sans faille – Love this is a dark world and I’ve lost focus, please tell me you need me – à laquelle on a envie d’adhérer (« Plea »), et du coup Anticon a par la même trouvé son Bibio.

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

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