LITURGY – Aesthethica

Chronique

« Hyperborean Black Metal represents the mounaineer’s arrival at the peak and a supposed leap off of it, directly into the Haptic Void. A total, maximal intensity. A complete flood of sound. An absolute plenitude.

But there he learns that totality is indistinguishable from nothingness. He learns that it is impossible to leap into the horizon. And he is left, crestfallen, frozen and alone, in the Hyperborean realm. It is a dead static place, a polar land where there is no oscillation between day and night. But stasis is atrophy. The Hyperborean realm is dead with purity, totally absolute, selfsame and eternal. The mountaineer undergoes a profound apostasy that he cannot fully understand and arrives at nihilism. […]

[…] Transcendental Black Metal represents a new relationship to the Haptic Void and the self-overcoming of Hyperborean Black Metal. »

Ces paragraphes – tirés du manifeste « Transcendental Black Metal » de Hunter Hunt Hendrix, leader et unique membre jusqu’en 2008 de Liturgy – illustrent le positionnement du désormais quatuor black metal de Brooklyn. Ils dévoilent non seulement le souhait de mettre un terme au règne des Emperor, Mayhem, Enslaved et de toute leur descendance, mais aussi l’ambition d’initier la quatrième vague du black metal (dans l’hypothèse où des groupes comme Blut Aus Nord constituaient la troisième). Mais au-delà des intentions, ils prouvent surtout combien Liturgy prend sa musique au sérieux et conceptualise son environnement. Ce texte devient alors capital car, tout aussi pompeux qu’il puisse être (et après lecture complète, il l’est définitivement), il affirme l’engagement du groupe, sa connaissance de l’Histoire et sa légitimité à s’inscrire dans le courant. Effectivement le black metal est justement un style où il y a des choses à prouver, un style on ne peut pas tricher et revendiquer le bénéfice du doute : un groupe de black metal qui « joue » n’est pas un groupe de black metal. Etre KVLT ou ne pas être.

Le refus de se prêter au cérémonial du genre, le refus de délimiter les frontières, le refus de ne pas incorporer le reste du monde, tout cela a été murement pensé ; il n’y nul opportunisme ici, nulle trahison, juste énormément de prétention et de confiance en soi. Dans une interview chez Art Info, Hunter Hunt Hendrix prétend que les performances de Liturgie fonctionnent bien sous la manière de rituels, mais des rituels sans symboles, sans costumes et sans rites ; une vraie profession de foi pour un changement dans la continuité.

Après le nihilisme, Hunter Hunt Hendrix prône donc l’âge d’or de l’affirmation : la négation de la négation, le non final à une longue série de remise en question et d’illustration du monde, une absurdité dans l’absurdité. On y verrait presque une nouvelle interprétation du Pari de Pascal : quitte à vivre dans le vide, autant préférer la lumière à l’obscurité !

Lirturgy se réapproprie alors les codes religieux sous forme de rédemption christique, et ces deux croix sur la pochette de « Aesthethica » deviennent alors une référence au « God Hates Us All » de Slayer ; Dieu nous déteste, ou peut-être pas.

« Aesthethica » devient alors un trou noir qui absorbe tout ce qu’il touche (shoegaze, noise, indie…) sans pour autant rechercher l’absolu : c’est une musique en mouvement, non une musique qui cherche à atteindre un but (« Tragic Laurel »). Et alors le clavier « Helix Skull » devient une incarnation du mouvement perpétuel.

« The burst Beat is an hyper blast beat trat ebbs, flows, expands and contracts, breaths. It replaces death and atrophy with life and hypertrophy. This transformation is accomplished bt two features : acceleration and rupture », expose également Hunter Hunt Hendrix dans son manifeste ; une vision qui explique l’aspect profondément math-rock de certains titres. Mais « Aesthethica » se retrouve alors enfermé dans un paradoxe : alors que son leader ne cesse de défendre la thèse de la rupture comme moment de transcendance, ne cesse de prôner le retour à une imprévisibilité chaotique qui sauterait d’état en état comme un reflet parfait de l’évolution naturelle, l’album, lui, est d’une précision impeccable où chaque mouvement a été calculé et recalculé au point de devenir une mécanique si parfaite que le burst blast devient une programmation et que le Transcendental Black Metal se nappe dans la rigidité de l’industriel.

On écoute alors ce disque précis mais un peu froid en sachant qu’il ne répond pas encore aux ambitions de ses auteurs et sous l’assaut des x et autres y , on oublie les transformations, on oublie le changement, on oublie l’affirmation, et l’on retombe dans l’état initial, dans cette espoir d’une plénitude absolue à venir. Sous ses airs de révolution, « Aesthethica » ne serait-il pas alors qu’un sacro-saint souhait de retourner à la case départ ? D’escalader le montage pour ressentir à nouveau l’ivresse d’être arrivé au sommet ?

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

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