MEDICATIONS – Completely Removed

Chronique

 

Cette année Dischord Records fête ses 30 ans, mais le terme « fête », un peu trop galvaudé, ne s’accompagne évidemment pas ici d’une série de rééditions de bon aloi ou de best of commémoratifs. Non outre l’exhumation de sessions inédites (comme le « Boycott Stabb Complete Session » de Government Issue), le label de Ian MacKaye préfère passer cette étape dans un silence relatif, ne se permettant de solliciter l’attention que pour ce qui en vaut la peine comme ce « Completely Removed » de Medications (à ne pas confondre avec la blague de Logan Mader et Whitfield Crane).


Depuis la publication de « Your Favorite People All In One Place », leur premier album plein de tension, 5 ans se sont écoulés, 5 ans durant lesquels des décisions durent être prises et où des projets de vie vinrent modifier la géométrie de l’ensemble (et Dieu sait que Medications est un groupe géométrique). Le batteur Andrew Becker a ainsi décidé d’arrêter de prescrire, laissant seul ses deux acolytes. Vue la place que tenaient les fûts dans le groupe et compte-tenu du jeu particulièrement fin de Becker (un type transformant n’importe quelle chanson en démonstration technique), son départ aurait pu être similaire à la perte d’un écrou clé dans une machinerie complexe : tout se serait arrêté sans moyen de relancer la machine. Pourtant, le guitariste Devin Ocampo et le bassiste Chad Molter ont décidé de prendre le problème à l’envers et d’imaginer la disparition de la rythmique complexe et tumultueuse comme une opportunité. Oui il faudrait toujours voir dans les absences des contraintes qui nous poussent vers l’inventivité.


Ainsi, le duo s’est recentré sur ses mélodies et sur sa capacité à écrire de succulentes pop-songs sans pour autant dépareiller avec l’univers Dishord, livrant ainsi ce qui restera peut-être comme l’un des albums les plus accessibles du label. Et quitte à laisser tomber une partie de la panoplie math-rock, les anciens Faraquet ne font pas dans la demie mesure et s’autorisent même à rentrer dans les schémas couplet-refrain-couplet. Epaulé par le multi-instrumentaliste Mark Cisneros, ils ouvrent ainsi une brèche entre le mainstream et l’intransigeance de l’indie-punk, une brèche volontaire qui est plus synonyme d’ouverture que de risque d’invasion : les riffs de guitares ciselés mais pourtant étrangement doucereux de « Long Day », rappellent ceux de Foals, tandis que les mélodies poppisantes et les chœurs de « Seasons » sont tout autant à rapprocher de Maximo Park.


La force de Medications se situe toujours dans ce niveau de détail, dans ce sens de la perfection. Tout s’imbrique ici à la fois naturellement et différemment. Les chansons prennent des chemins détournés, elles ne vont jamais à l’essentiel et préfèrent jouer une partition plus intimiste mais plus parfaite, un peu comme chez Menomena (« Rising To Sleep ») au point de délaisser même la rage le temps d’un « Brasil ’07 » plus tortoisien où les arrangements acoustiques sont soutenus par de discrètes touches de saxo et de clarinettes. Pourtant il manquera un peu de conviction (alors que paradoxalement il s’agit de la principale marque de fabrique des groupes Dischord) pour faire de « Completely Removed » le parfait album de math-pop. Les mélanges de « Kilometers And Smiles » restent ainsi trop policés et les guitares rockeuses utilisées un peu avec le même sens catchy que Incubus se marient mal avec le piano peu engageant de la seconde partie.


Il faut alors parfois savoir desserrer un peu les vis, abaisser les contraintes (sans pour autant les supprimer) et admettre que l’on est allé trop loin ; la recette idéal se trouvant probablement à mi-chemin entre « Your Favorite People All In One Place » et ce « Completely Removed ».

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

Voir ses articles