SUUNS – Zeroes QC

Chronique

 

 

Il y a des groupes qui sont de vrais mirages, non pas qu’ils soient des sources paradisiaques épisodiques mais bien qu’ils génèrent une image déformée d’une musique bien réelle via des effets sonores. Au jeu des apparences, Suuns est assurément un maitre en camouflage sonique. Signé chez Secretly Canadian, le label qui aime toujours passer pour ce qu’il n’est pas (et ce majoritairement pour le meilleur), les ex-Zeroes (changement de nom imposé par le haut commandement) se targue au premier abord d’une artillerie lumineuse de dernier cri. Les moteurs chauffent, les canons grondent et toute la puissance est lâchée dès « Armed For Peace », le titre qu’il aurait fallu retenir. Ca grince, ça titille et la transition electro – electro/rock – rock est parfaitement exécutée (bien que facile à concevoir, celles-ci restent pourtant toujours un sujet glissant – confère le dernier LCD Soundsystem), la mécanique est bien huilée, les machines ont été vérifiées et revérifiées, les troupes sont fières et gardent la tête haute.


Suuns est donc un groupe canadien qui compose avec le meilleur de chaque stratégie, il est à la fois offensif (la rythmique et les guitares mènent l’assaut sur « Marauder »), défensif (derrière le brouillard généré par la basse d’obédience métallique les guitares se concentrent sur « Gaze » en vue de la riposte ; de la force du shoegaze), rusé (la voix susurrée de « Pie IX » trouble les nuits de l’ennemi et est autant de bruissements qui perturbent le sommeil) et kamikaze (le groupe quittant alors la stratosphère sur « Arena » pour tomber en pic sur les bas instincts humains et, tout en conservant sa rigueur, napper le champs de bataille d’un voile dark-wave qui ne se relâchera qu’au dernier moment lorsque les têtes auront été hypnotisées et que les jambes seront exténuées). Midi, premier mercredi du mois, « Sweet Nothing » s’assure que le matériel fonctionne et que Suuns est prêt à réaliser des attaques de zones à base d’une solution aqueuse mélangeant fluides électroniques et liquides organiques.


Malheureusement dès que l’artillerie est rangée, dès que le gaz se dissipe, il ne reste de ces énormes véhicules qu’un gamin apeuré, sans volonté, sans charisme qui s’avérait être seul au commande. Sur les ballades « Up Past The Nursery » et « Fear », la voix de Ben Shemie apparait comme dénuée de toute personnalité comme si toute la force dont elle faisait preuve quelques titres plus tôt n’était qu’une illusion conférée par la technologie. Suuns ressemble alors à un enfant chétif qui pensait que l’armure faisait tout.


On réalise alors que tout ça n’était qu’optique géométrique et lois de la réfraction. Nous n’étions victime d’aucune illusion mais nous avons mal interprété le réel : ce qui pouvait passer pour de la finesse s’avère finalement bien grossier. Suuns ne sera pas l’arme qui amène à la victoire, il sera juste une unité de soutien qui nourrira le front avec ses tirs de barrages.

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

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