TRICKY – Mixed Race

Chronique

 

Tricky c’était une histoire d’attraction physique, quelque chose qui n’avait pas attrait à la sexualité mais qui était l’allégorie de la révolte et la métaphore de Bristol. Il y avait un tel magnétisme et une telle présence que sous la brume et les fumées de cigarettes, le corps ne disparaissait jamais. Tricky c’était un peu leur Joey Starr à eux : une indispensable grande gueule. Et puis, il y a eu des femmes, trop de femmes, des égéries qui incarnaient l’incarnation et qui prenaient trop de place. En 2003, la voix de Costanza Francavilla a complètement masqué celle de Adrian Thaws qui de toute façon n’osait plus se produire seul sans le soutien de camarades. Alors que sa tournée en compagnie de Tool aurait du être un tremplin vers une musique de plus en plus complexe, elle aura au contraire été un point de non retour créatif, comme si en se retrouvant face à des émotions nouvelles, il s’était mis en tête qu’aucun style ne devrait dorénavant lui échapper, décision qui diluera à jamais son talent de producteur.


Aujourd’hui, il ne reste que des bribes, des bouts du passé (les siens et ceux des autres) qu’il faut réassembler pour se recréer un toit et pour remplir à nouveau l’espace. Malheureusement la colle ne tient jamais et il ne reste qu’une silhouette, celle de l’eternel boxeur qui n’arrive pas à remonter sur le ring. « Every Day » conte ce combat de tous les jours qui ne débouche jamais sur rien ; on gratte quelques cordes au fond mais elles ne suffisent pas à enrayer la monotonie du quotidien.


Il faut alors voler pour survivre. C’est une course en avant vers la fin mais la seule et unique issue offerte par la vie. Ce n’est pas la bonne voie mais c’est une voie quand même. On peut alors accepter par conviction sociale ou condamner sous couvert de sa morale. Aussi, l’écoute de « Kingston Logic » peut susciter deux types de réaction : soit on adore « Technologic » de Daft Punk et l’exercice peut faire sourire, soit on considère qu’il s’agit d’un de leur pire titre et là la parodie se transforme inévitablement en bouillabaisse au gout rance. Mais au final on constatera que même dans le meilleur des cas, il s’agit juste de quelque-chose de marrant, marrant non pas comme sympa, mais comme anecdotique. Quoi qu’à y réfléchir, l’anecdotique vaut peut-être mieux que les gloussements, car on ne sait si les violons et les fausses guitares de « Ghetto Stars » sont issues d’un samples de Evanescence mais le résultat est encore plus risible que sur les moins bons titres de « Vulnerable ».


Certes on ne peut en vouloir aux plus démunis de bouffer à tous les râteliers, mais clairement on n’imaginait pas Tricky s’être appauvri au point de sauter ainsi du coq à l’âne entre chaque titre. Même l’intro jazzy et la voix faussement suave comme toujours discrètement doublée par la sienne sur « Early Bird » n’arrivent pas à toucher, la faute à une arrivée incongrue au sein de la tracklist. Sur « Hakim », ce n’est plus une question d’ouverture, c’est véritablement la porte ouverte au grand n’importe quoi et Rachid Taha a l’air d’un acteur auquel le réalisateur aurait oublié de donner des instructions.** Encore une fois, c’est dans le pillage que Tricky sauve les apparences. Un mauvais original vaudrait mieux qu’une bonne copie ? il y a de quoi remettre ses croyances en question, lorsque le grossier « Time To Dance » résonne. Non non à choisir, l’on préfère encore quand la silhouette se glisse dans le costume de Peter Gunn le temps d’un « Murder Weapon » qui a au moins le mérite d’être catchy.


On avait beau sentir quelque-chose, être sûr de notre ressenti, il faut bien se rendre à l’évidence : la fumée s’est dissipée et n’a dévoilé ni Dieu impétrant ni cougar ardent. Il ne reste que cette vieille radio qui crache un « Bristol To London » en forme d’épilogue où face à une telle rengaine les Bloody Beetroots passeraient pour un groupe d’émotions électroniques tout en retenue. Non vraiment, on n’aurait jamais du sortir les extincteurs.

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

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