Xiu Xiu – Always

Chronique

Suite au concert à Strasbourg et Paris, nous revenons sur le dernier album de Xiu Xiu.

Sur Always, pour la première fois on sent Jamie Stewart avide de maitrise. Il semble en avoir assez de l’alternance entre cynisme et romantisme : il ne veut plus être victime ni de son lyrisme à fleur de peau ni de cette dérision qui ponctue toujours ses phrases et le désarçonne. Il veut achever le travail initié sur Dear God, I hate myself, et voir les extrémités de sa personnalité animer simultanément ses chansons. Il s’agit vraiment de l’album qu’il veut graver dans le marbre, celui qui représentera à tout jamais Xiu Xiu, tel qu’il l’a toujours conçu, mais qui ne trouve son aboutissement qu’aujourd’hui.

Jamie Stewart ne cherche pas à extérioriser ses peurs et ses angoisses à travers ses chansons. Non celles-ci sont plus son journal intime, une trace des années qu’il a vécues. On ne parle pas pour autant d’introspection, mais juste des choses qui animent la vie d’un homme : ses joies et drames personnels, ses prises de position au sein de la société, ses réflexions sur le monde, sur ses proches, sur lui-même. Les albums de Xiu Xiu ne répondent pas à un plan établi à l’avance, ils ne sont que le reflet de la vie du moment, une sorte de grande archive que leur auteur transmettra aux générations futures. C’est pour cela que Xiu Xiu ne mourra jamais : c’est non seulement le projet d’une vie, mais surtout un projet qui ne peut pas s’arrêter de peur de laisser des trous dans sa propre existence.

Puisqu’il accepte maintenant que son groupe et lui fasse un à tout jamais, Jamie Stewart a de moins en moins peur de ses deux démons : il les attire à lui, il veut qu’ils le pénètrent de part et d’autre. On se retrouve alors avec un projet hybride, d’une maitrise impressionnante, comme s’il avait dompté l’indomptable, comme si sa folie d’hier était devenue un pouvoir qu’il contrôle enfin. Les chansons sont radicales dans leur démarche et dans leurs expérimentations : elles ne se refusent rien, mais toutes leurs incursions doivent rester au service du romantisme, comme sur Honey Suckle. Pour autant, Always ne célèbre jamais la victoire de celui-ci : le romantisme, il aime toujours autant le maltraiter, mais maintenant il le fait en toute maitrise de soi ! C’est un album plus prémédité que par le passé où Jamie Stewart part de pistes électroniques où il sabordent allègrement son songwriting en le regardant droit dans les yeux (Beauty Towne) ! On ne l’y reprendra plus ! Maintenant il jongle avec aisance. En fait il semble avoir une telle confiance dans ses compositions qu’il réalise qu’aucun de ses extrêmes ne pourra désormais les abimer.

Jamie Stewart est dans cette position confortable où il peut se laisser complètement aller en sachant que les chansons s’autoréguleront spontanément. Même lorsque le chaos s’empare de I luv abortion, qu’il retranscrit le désarroi d’une jeune fille qui ne peut se retrouver enceinte à un si jeune âge, que la musique s’emballe comme si elle était plongé dans un monde fantastique aux codes inconnus, on n’a jamais l’impression que Jamie Stewart ne rigole ou qu’il s’est à nouveau laissé avoir par son cynisme : il a la chair à sang, mais il conserve le contrôle. Et ce sans jamais restreindre ses sentiments, sans jamais internaliser le romantisme. Les émotions sont toujours exacerbées, mais il n’est plus à leur merci.

Tout devient alors à la fois essentiel (encore une fois Always est un album sérieux à la fois dans sa conception musicale et dans ses thèmes) et volatile (cela ne reste qu’une image à l’instant t de la vie de Jamie Stewart en 2012). Mais ce n’est pas que de lui qu’il s’agit : son journal intime, son Xiu Xiu, il l’ouvre aux autres comme il ne l’a jamais ouvert (on notera l’impact de Greg Saunier de Deerhoof et du contrebassiste Devin Hoff). Il ne veut plus souffrir seul, il ne veut plus partager sa souffrance, il veut juste la voir consolider par les nôtres. Sur Hi, il nous invite à le rejoindre : « If you’re wasting your life, say hi / If you’re alone tonight, say hi ». Et bien sûr, nous répondons tous en chœur !

Xiu Xiu est maintenant tatoué à tout jamais dans l’âme de Jamie Stewart et il s’agira dorénavant de relier toutes ces pièces de puzzle qu’il a déjà semé au cours de ses neuf albums. Ici il écrit déjà un post-scriptum au Clowne Towne deFabulous Muscles avec Beauty Towne, et fait résonner le tragique Black Drum Machine avec le Black Keyboard de Women as Lovers. L’avenir de Xiu Xiu verra-t-il alors le romantisme incontrôlée d’hier être relié, à travers les ans, à la sensibilité du James Stewart de demain ?

 

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

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